- AGRICOLES (ORGANISATIONS)
- AGRICOLES (ORGANISATIONS)Les organisations agricoles apparaissent singulières dans la société française. Pourtant, les analogies avec les autres milieux socioprofessionnels ne manquent pas. Les agriculteurs ont cherché à s’organiser pour obtenir du monde politique des décisions conformes à leurs vœux, ce qui les rapproche, entre autres, des syndicats patronaux; ils y mettent cependant un mordant particulier, l’agriculture étant l’un des secteurs où l’État intervient beaucoup. Mais comme le syndicalisme ouvrier, le syndicalisme agricole tire sa force du nombre et de la combativité de ses adhérents qu’il lui faut mobiliser tout en en canalisant l’ardeur.Cependant, les paysans ont compris très tôt que si, dans la société industrielle, ils voulaient rester «à leur compte», il leur fallait «s’organiser», s’entraider et transformer eux-mêmes leurs mentalités. Il en est résulté tout un système d’institutions propres à l’agriculture, qui en fait un monde à part. Ces organisations sont également des lieux de réflexion et de débat, traduisant la volonté d’autogestion du monde agricole. La réflexion collective sur ce que peut devenir l’agriculture est un élément permanent de leur histoire. Un deuxième élément est le combat pour une réflexion autonome, dégagée de la tutelle des autorités morales et politiques. Le troisième, enfin, est une interrogation récurrente sur l’unité, ou non, de la profession, et donc des organisations qui la représentent.1. Un siècle d’histoireDes organisations agricoles se sont créées en France chaque fois que l’agriculture s’est trouvée confrontée à de graves difficultés.La première vague correspond à la crise agricole de la fin du siècle dernier. Les pays neufs viennent d’entrer en production et la navigation à vapeur a pris son essor: c’est ainsi que le blé perd le tiers de sa valeur entre 1872-1876 et 1892-1896. Certes, les engrais permettent d’accroître la production, mais l’affrontement est inégal entre le cultivateur et le commerçant. Surtout, c’est la société paysanne tout entière qui se sent menacée dans ses fondements par l’emprise croissante des villes et de l’industrie. Il faut donc que l’agriculture se défende et s’adapte.C’est ce qu’expriment bien les statuts du premier syndicat agricole, celui des agriculteurs du Loir-et-Cher, fondé le 7 juillet 1883: «[Il] a pour but l’achat en commun des engrais, des semences et de toutes les matières et objets fréquemment utilisés en agriculture, afin de les obtenir à meilleur marché. [Il] se propose aussi de réprimer la fraude dans le commerce des engrais et des graines de semence. [Il] s’efforcera encore d’éclairer les cultivateurs sur les choix des matières fertilisantes convenables.» Aujourd’hui, on parlerait plutôt d’une coopérative d’achat et d’un groupement de vulgarisation agricole...Rapidement se créent un peu partout des syndicats d’achat, d’autres pour la vente des produits agricoles, d’autres pour le battage mécanique, etc.; apparaissent également des caisses mutuelles, les unes d’assurance, les autres de crédit.La loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884 arrive à point: désormais, les syndicats professionnels, à la différence des autres associations qui devront attendre la loi de 1901, n’ont plus à être autorisés pour exister. Les agriculteurs utiliseront largement cette disposition.L’entraide, l’union sont le point de départ des nouvelles organisations. Leur apparition s’inscrit dans le courant de pensée qui, au sein de l’Europe du XIXe siècle, cherche dans les principes coopératifs une réponse non capitaliste aux problèmes nés de l’industrialisation. Les idéaux mis en avant convergent avec ceux de la religion chrétienne, et la place tenue par le clergé dans la naissance et le fonctionnement de ces institutions solidaristes n’est pas pour surprendre. Mais ces valeurs sont aussi des valeurs laïques, et de nombreux instituteurs animeront les nouvelles organisations. Jules Tanviray, qui créa le syndicat des agriculteurs du Loir-et-Cher, était professeur d’agriculture... Des prêtres, des instituteurs mais aussi des propriétaires fonciers, nobles ou bourgeois, des notaires, des avocats, des élus! Ces nouvelles organisations naissent sous l’impulsion d’autres catégories sociales. Pour ces «élites», au-delà de l’évolution de l’agriculture, il s’agit d’un combat politique.Droite contre gauche: des agrarismes semblablesL’enjeu final, ce sont les votes paysans. On trouve d’un côté le parti de l’ordre composé de conservateurs catholiques et souvent monarchistes: les suffrages des ruraux leur sont acquis dans beaucoup de circonscriptions. Et, de l’autre, le parti du mouvement: laïque, républicain, il veut conquérir les voix paysannes, les estimant indispensables pour la consolidation du nouveau régime; le bon moyen, pour y parvenir, c’est d’ouvrir le monde agricole sur la société moderne.Les premières organisations à se mettre en place sont celles de droite. Elles sont regroupées à partir de 1886 au sein de l’Union centrale des syndicats agricoles de France. Ses locaux, 8, rue d’Athènes, sont ceux de la Société des agriculteurs de France, qui depuis 1867 rassemble principalement des grands propriétaires fonciers. L’Union connaît le succès: à la veille de la Première Guerre mondiale, elle aurait compté un million d’adhérents, c’est-à-dire près d’un exploitant sur quatre.La réaction «républicaine» ne vient que plus tard. Elle est le fait d’élus «laïques», de notables des bourgs et des petites villes, d’instituteurs. L’administration préfectorale, stimulée par le gouvernement, appuie leurs efforts. Des coopératives, des caisses de crédit, des mutuelles d’assurance, des syndicats voient le jour. Au fur et à mesure des besoins, une législation appropriée sera adoptée (loi sur les caisses de crédit agricole mutuel en 1894, loi sur les assurances mutuelles agricoles en 1901; la coopération agricole, elle, devra attendre 1921).En 1880, Gambetta avait bien créé la Société nationale d’encouragement à l’agriculture pour contrer la Société des agriculteurs de France et aussi «grouper toutes les bonnes volontés dans une même pensée: le progrès de l’agriculture et l’amélioration du sort des travailleurs du sol», mais il faudra attendre 1910 pour que ce courant, moins nombreux que l’autre, s’unifie au sein de la Fédération nationale de la mutualité et de la coopération agricoles. Elle s’installe à Paris, 129, boulevard Saint-Germain.Opposés, la traditionaliste rue d’Athènes et le boulevard Saint-Germain émancipateur présentent bien des similitudes. De chaque côté, les paysans constituent la troupe, les dirigeants sont d’une autre espèce. Des deux côtés, on exalte les mêmes valeurs paysannes, la sagesse, le sens du réel, la patience, l’attachement au sol par le biais de la propriété privée, et le but est de conserver aux ruraux leur spécificité dans la société industrielle. De part et d’autre, on entend aussi réhabiliter le paysan aux yeux de l’opinion publique.Mais la même revendication protectionniste ne doit pas dissimuler que l’on n’a pas des deux côtés la même idée sur le rôle de l’État: à droite, on lui demande de limiter son action; à gauche, on travaille la main dans la main avec l’administration. Ce n’est pas non plus la même vision du monde paysan: pour la gauche, il est ou doit être formé d’individus juridiquement et politiquement égaux, tandis que la droite le conçoit comme une communauté hiérarchisée en fonction des biens hérités, de la culture et du pouvoir. Des clivages qui auront marqué durablement les institutions puisque coexistent encore deux réseaux de crédit ou deux unions de coopératives de céréales alors que ni la République ni la place de l’Église dans la société ne divisent plus les campagnes.Premières organisations unitairesLe phylloxéra avait détruit le vignoble: si les ceps replantés se révélèrent généreux, entre-temps l’Algérie avait pris le relais. Une crise sans précédent s’ensuivit au début du siècle, l’émeute gronda. «L’organisation suivit la protestation» avec la création en 1907 de la Confédération générale des vignerons. Le premier syndicat par produit était né.L’histoire se répétera après la guerre. Dès 1921, le relèvement de la céréaliculture et l’arrivée des blés américains entraînent l’effondrement des cours et, en 1924, l’A.G.P.B. (l’Association générale des producteurs de blé) est fondée. De véritables agriculteurs «aux mains calleuses», dont certains sont d’ailleurs ingénieurs agronomes, sont appelés à sa tête. Premier objectif: un tarif douanier efficace. Second objectif: l’organisation du marché, ce qui l’amène à promouvoir des silos coopératifs et à prendre directement en main des exportations.D’autres «associations spécialisées» naissent à la même époque. La plus importante est d’ailleurs antérieure à l’A.G.P.B., c’est la Confédération générale des planteurs de betteraves (1921). Il s’en crée aussi pour la viande, le lait, les fruits et légumes, les fruits à cidre, etc. Elles sont, par définition, uniques dans leur domaine.Le souci d’unité professionnelle s’était par ailleurs manifesté, au lendemain de la guerre, avec la création, en 1919, de la Confédération nationale des associations agricoles qui fut confinée dans des tâches d’information. Elle tint son dernier congrès en 1936.L’État réalisera à cette époque l’institutionnalisation de la représentation du monde agricole. Déjà, en 1840, Lamartine et le maréchal Bugeaud avaient appuyé une proposition de loi créant des chambres départementales d’agriculture. Un texte voté en 1851 n’avait jamais été appliqué, ni celui qui fut voté en 1919. Les parlementaires ruraux et les conseils généraux craignent d’être doublés. La désignation des membres pose aussi problème: au suffrage direct ou par les syndicats? Mais l’idée est dans l’air: les chambres des métiers seront créées un an plus tard. Aussi la loi votée le 3 janvier 1924 instituant des «établissements publics professionnels» départementaux sera-t-elle rapidement suivie d’effet.Nouvelles approches politiquesAu cours de la même période, des idéologies plus «modernes» que la vieille opposition laïques/conservateurs vont marquer l’organisation professionnelle de l’agriculture. À l’origine, on trouve des abbés bretons proches du sillon de Marc Sangnier, républicains épris de justice sociale; des démocrates-chrétiens en quelque sorte. L’un d’eux, l’abbé Mancel, incite à partir de 1920 ses paroissiens à créer leurs propres organisations.Une Fédération des syndicats des paysans de l’Ouest voit le jour: des mutuelles d’assurance et de crédit sont fondées. Créée en 1927, la Ligue des paysans de l’Ouest a des adhérents dans neuf départements. Ils se disent républicains; ils ne regroupent que des chefs d’exploitation «cultivateurs-cultivants», interdisant leurs rangs aux «propriétaires aux mains blanches»: implicitement, ils se trouvent nier ainsi le fait de l’unité du monde agricole. Aussi se formera une «alliance du château et de l’évêché pour ramener le troupeau dans le droit chemin». Rome a refusé de condamner, mais les abbés devront s’effacer sous la pression des évêques pour lesquels «ce que veut l’Église, c’est la doctrine de Jésus-Christ, qui recommande l’union de classes». De toute façon, une nouvelle législation sur les assurances sociales va diviser le mouvement, qui disparaît en 1934, mais qui aura été le précurseur de ce que, par la suite, entreprendra la J.A.C. (Jeunesse agricole catholique).Les partis de gauche tentent de créer des syndicats. Le Parti communiste fonde dès 1920-1921 le Conseil paysan français qui deviendra, en 1929, la Confédération générale des paysans travailleurs. Le parti socialiste S.F.I.O. crée, en 1933, la Confédération générale paysanne; certaines de ses idées seront appliquées en 1936, d’autres seront reprises à la Libération. Mais leur influence sur le terrain sera faible.La grande crise de 1929 devait entraîner un véritable effondrement des prix agricoles en France, à partir de 1932 et, par contrecoup, une nouvelle forme d’action professionnelle, le dorgérisme, qui marquera durablement le syndicalisme agricole. Un tribun puissant, Henri d’Halluin, dit Dorgères, plébéien malgré sa particule, directeur d’un journal agricole à Rennes, appelle la paysannerie, «seule force saine du pays», à la lutte contre l’État pourri, les fonctionnaires incapables, les parlementaires vendus, la féodalité capitaliste, la pègre qui est à la tête de la France et, enfin, «Léon Blum et sa clique». À son instigation, les comités de défense paysanne se multiplient, surtout dans la moitié nord du pays, donnant aux agriculteurs le sentiment de s’exprimer par eux-mêmes. Au cri de «Haut les fourches», encadrés par un service d’ordre – les Chemises vertes –, ils entendent imposer leur volonté sur le terrain par la violence.Pour Dorgères, l’alliance parti-syndicat va de soi. Quel parti? le Parti agraire et paysan français fondé en 1928. Dorgères le réunira «en faisceau» en 1934 avec quelques associations spécialisées et l’ancienne Union centrale devenue en 1934 l’Union nationale des syndicats agricoles, en un éphémère Front paysan (1935). Tous ces mouvements subissent l’attrait de la doctrine corporatiste.1940: la corporation paysanneLa loi du 2 décembre 1940 relative à l’organisation corporative de l’agriculture constitue peut-être l’étape la plus importante dans l’histoire des structures professionnelles et de leurs rapports avec l’État.Elle instaure tout d’abord l’unicité professionnelle et, pour commencer, l’unicité syndicale: un seul syndicat local (28 000 verront le jour), une seule union «régionale» (généralement départementale) à laquelle chaque syndicat local est tenu d’adhérer, une seule corporation nationale. Mais également unicité, à tous les niveaux, des organismes économiques (coopératives, caisses mutuelles de crédit ou d’assurance, etc.). Ensuite, intégration de ces organismes économiques dans l’organisation corporative, tant sur le plan départemental que sur le plan national.Mais leur position est subordonnée à celle du syndicalisme. Un syndicalisme qui n’a plus le droit de se livrer à des opérations d’achat ou de vente mais qui a pour objet «l’étude et la défense dans le domaine moral, social et économique des intérêts des agriculteurs et de leur famille». Un syndicalisme, «lieu géométrique de la profession», autour duquel les organisations coopératives et mutualistes doivent rayonner. C’est sur le syndicat que se fonde l’organisation coopérative; les membres de cette dernière doivent être adhérents des syndicats locaux, et les syndicats corporatifs désignent parmi les sociétaires les deux cinquièmes de leurs administrateurs. Est décidée également l’intégration des anciennes associations spécialisées. Elles deviennent des groupes spécialisés (on en comptera une vingtaine) dont le syndicalisme corporatif désigne les dirigeants, concurremment avec les organisations économiques.Autre décision: le rassemblement dans le même syndicat de «tous ceux qui vivent de la terre», ouvriers agricoles, chefs d’exploitation, propriétaires, exploitants ou non, et même artisans ruraux travaillant pour eux, chaque catégorie regroupée en «section sociale». Pourquoi un tel rassemblement? «Leurs intérêts communs en face des intérêts de la ville l’emportent de beaucoup sur leurs intérêts respectifs.» L’affiliation obligatoire, un moment envisagée, n’est pas dans la loi, mais chacun est tenu de participer au financement de l’organisation corporative et les syndicats auront à répartir les produits industriels rationnés. De fait, tous les agriculteurs seront membres des syndicats.Après une phase où ils ont été désignés, les élections des dirigeants des syndicats sont prévues à bulletin secret. Elles se dérouleront dans les syndicats locaux entre septembre 1943 et janvier 1944. «Première manifestation d’une véritable démocratie professionnelle», sera-t-il dit par la suite, permettant l’accès, sur le plan national, de représentants authentiques de la paysannerie. L’incompatibilité entre les fonctions professionnelles et tout mandat politique, sauf communal, qui figura un temps dans les projets de statuts types, aurait visé à renforcer le caractère professionnel de la corporation. Enfin est attribué à cette dernière le pouvoir de contraindre: «Les règlements corporatifs sont obligatoires pour tout professionnel, syndiqué ou non.» La corporation a capacité pour régler, entre autres, les questions relatives à la production, à la vente, aux débouchés, aux prix et, d’une manière générale, à l’ensemble de la production agricole, ainsi qu’au travail. Pour faire place nette aux nouvelles institutions, les chambres d’agriculture et leur assemblée permanente doivent s’effacer.La mise en place de la corporation paysanne immédiatement après la défaite de juin 1940 n’a été possible que par la diffusion de la doctrine corporative depuis une décennie. Le corporatisme est inspiré de la doctrine sociale de l’Église, laquelle chercha à la fin du XIXe siècle une troisième voie entre le capitalisme et le collectivisme. Rejetant lui aussi la lutte des classes comme principe d’action, sans la nier pour autant, le corporatisme croit à la coopération productive de tous les hommes d’un même métier; il pense que des professions organisées et dotées de pouvoirs réglementaires résoudront leurs problèmes mieux que le marché et mieux que l’État et des fonctionnaires peu au courant des réalités. Telle est la doctrine à laquelle adhérera une forte proportion du monde agricole. L’Union nationale des syndicats agricoles – l’ancienne Union centrale de la rue d’Athènes – la fait sienne et, dans son sillage, certaines associations spécialisées. Ses leaders, Louis Salleron, Jacques Le Roy Ladurie formulent une véritable doctrine corporative agricole française originale par rapport à l’étranger, qui va convenir tout à fait au gouvernement de Vichy. Celui-ci entend, en effet, rénover le pays en exaltant la patrie, la famille, le travail et la terre qui, «elle, ne ment pas» (Philippe Pétain). Il entend aussi rénover les professions dans un sens corporatiste. Mais l’agriculture sera le seul secteur où, la conjuguant avec l’agrarisme («la civilisation doit s’appuyer sur une base paysanne solide»), Vichy appliquera la doctrine corporatiste. Les difficultés ne manqueront pas, cependant, à la corporation. D’abord une hostilité marquée du ministère de l’Agriculture. Pour les fonctionnaires, c’est la première fois qu’ils ont en face d’eux une profession unitaire et puissante. Jusqu’alors, ils avaient à combattre les organisations de droite, et ils étaient le bienveillant soutien de celles de gauche. Désormais, il leur faudra composer et, demain, qui sait? subir. Du côté professionnel, on redoute la tutelle de l’État: en 1942, la loi n’a-t-elle pas décidé que le ministre de l’Agriculture présiderait le Conseil national corporatif agricole? Et les commissaires du gouvernement sont au cœur des instances régionales et nationales.Difficultés internes aussi: les organisations coopératives et mutualistes acceptent mal la primauté syndicale, et les agriculteurs se détacheront des syndicats corporatifs quand ils seront utilisés pour les réquisitions au profit du ravitaillement et de l’ennemi.Il n’en demeure pas moins que la corporation a travaillé. Ainsi, elle aura fait aboutir une législation stabilisant les baux de fermage et déférant les conflits entre bailleurs et preneurs à des commissions paritaires et une autre relative au statut de la coopération. La corporation aura été l’un de ces lieux où l’on aura réfléchi et préparé le nécessaire relèvement du pays. Naïvement, ses dirigeants pensaient qu’elle aurait sa place dans la France libérée. Ils n’imaginaient pas que pour se prolonger, elle devrait d’abord disparaître et qu’eux-mêmes seraient «épurés».1944: La C.G.AL’ordonnance du 12 octobre 1944 annule la loi du 2 décembre 1940, supprimant par le fait la corporation. Les organisations nées avant 1940 revivent-elles du même coup? Le ministre socialiste Tanguy-Prigent proclame sa volonté et celle de ses amis de maintenir l’Unité paysanne, mais sous la direction effective de «véritables ruraux». Dès octobre, des résistants socialistes et communistes décident de constituer au grand jour, lors du congrès de l’unité paysanne de mars 1945, la Confédération générale de l’agriculture, la C.G.A., dont le sigle fait bien évidemment penser à la puissante C.G.T. Parmi ses vice-présidents, Waldeck Rochet, le futur secrétaire général du Parti communiste.La Confédération doit regrouper cinq fédérations, celle des syndicats d’exploitants agricoles (la future F.N.S.E.A.) à laquelle les puissantes associations spécialisées par produit avaient été invitées à s’intégrer, celles de la coopération, de la mutualité et du crédit agricoles, celle des techniciens agricoles. Son organe national doit accueillir des représentants des ouvriers agricoles syndiqués dans les deux grandes centrales: C.G.T. et C.F.T.C. Les propriétaires non exploitants n’ont pas leur place dans le nouveau dispositif. Ainsi s’en vont-ils rue d’Athènes créer la Fédération nationale de la propriété agricole (déc. 1945).Supprimée, la corporation paysanne se trouve-t-elle recréée? La continuité du discours est frappante et, comme la corporation, la nouvelle organisation entend rassembler en une organisation unique et représenter l’ensemble des «travailleurs de la terre». Mais il n’y a plus cette primauté du syndicalisme que le boulevard Saint-Germain n’avait jamais acceptée; il n’est plus question non plus de pouvoir réglementaire (il faudra une quinzaine d’années pour que, la nécessité aidant, il en soit à nouveau question). Mais la grande différence est politique: la C.G.A., c’est peut-être la corporation paysanne, mais étroitement liée à la gauche politique et non plus à la droite. De là viendront ses difficultés.Le 13 mars 1946, la F.N.S.E.A. (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) est créée. Elle s’inspire étroitement du modèle corporatiste: syndicats de village, fédérations départementales, fédération nationale. L’adhésion est quasi générale. À chaque niveau, des représentants sont élus, ce sont le plus souvent d’anciens responsables de la corporation.Entre la F.N.S.E.A. et la C.G.A., c’est très vite la guerre. Une guerre que la C.G.A. va perdre. En effet, les socialistes sont peu nombreux parmi les responsables professionnels. En outre, l’environnement extérieur a changé. Sur le plan international, c’est bientôt la guerre froide; à l’intérieur, la fin du tripartisme. Au sein de la C.G.A., socialistes et communistes s’opposent. Enfin, son soutien extérieur disparaît: à l’automne de 1947, le ministère de l’Agriculture passe des mains du socialiste Tanguy à celles du M.R.P. Pflimlin.À la F.N.S.E.A., il en va de même. Le secrétaire général René Blondelle se livre à une contre-épuration, chassant les hommes de gauche, excluant sept fédérations départementales qu’il n’a pu reconquérir.À partir de 1948, la C.G.A. n’a plus de pouvoir. Mais, du coup, les trois fédérations de la mutualité, de la coopération et du crédit agricoles, dont les dirigeants sont plus à gauche, reconstituent le boulevard Saint-Germain d’avant guerre en y installant leur nouvelle Confédération, la C.N.M.C.C.A., et y accueillent les évincés de la C.G.A. Contrecoup du contrecoup, la coopération se divise en 1950 et une Confédération générale des coopératives agricoles s’oppose désormais à la Fédération du boulevard Saint-Germain.La renaissance en 1949 des chambres d’agriculture et de leur assemblée permanente achève de reconstituer le paysage d’avant guerre. Leur premier président sera René Blondelle. Ces établissements publics, dotés de ressources propres, devraient permettre à la profession d’agir davantage.Toutefois, par rapport à l’avant-guerre, les différences sont sensibles. La plus importante est l’aspiration unitaire, d’autant plus forte que l’unité se trouva réalisée en 1940 et en 1944. Ce sera la force de la F.N.S.E.A. que de l’incarner. Mais, avec l’assemblée permanente des chambres d’agriculture, elle a désormais une concurrente avec laquelle il lui faudra compter comme porte-parole et comme instance unificatrice de la profession. L’équilibre gauche-droite s’est déplacé: le boulevard Saint-Germain paraît affaibli, bien qu’il n’ait guère de concurrents dans le champ mutualiste et coopératif; la réunification ultérieure de la coopération se fera à son profit. Mais le clivage gauche-droite va se brouiller à cause de nouveaux venus, les jeunes agriculteurs.De la J.A.C. au C.N.J.A.Ce même catholicisme qui est à l’origine d’un corporatisme passablement conservateur a produit un mouvement d’action catholique, la J.A.C. (Jeunesse agricole catholique), qui se fera le protagoniste de la modernité dans les campagnes.L’Église a-t-elle «perdu le monde ouvrier» au XIXe siècle? Du moins, elle le croit, d’où son intérêt pour la «question sociale» qu’exprime l’encyclique Rerum novarum de Léon XIII (1891), thème sur lequel Pie XI reviendra dans Quadragesimo anno (1931). La rechristianisation de la société implique «une action sociale dans le monde» et sa prise en charge par «une élite de catholiques» laïques qui reçoit son «mandat» et ses directives de la hiérarchie. Y convier la jeunesse paraît naturel. Une autre idée, plus nouvelle, est d’agir non plus dans le cadre traditionnel de la paroisse, mais dans celui de l’activité professionnelle. Ce sera l’apostolat par milieu. C’est en tout cas le projet que forme en 1924 un abbé bruxellois, Léon Cardjin (1882-1967), en créant la première section de J.O.C. (Jeunesse ouvrière chrétienne). Très vite, il fait des émules en France. Et c’est en France que naît en 1927, à l’initiative de jésuites, l’idée d’une J.O.C. rurale à l’intention des fils d’agriculteurs. Le démarrage est rapide, en partie parce que le nouveau mouvement intègre des sections rurales de l’A.C.J.F. (Action catholique de la jeunesse française) créées depuis 1924 (l’A.C.J.F. elle-même avait été créée en 1886), en partie parce qu’il s’agit d’initiatives du clergé rural ou de religieux agissant de leur propre chef, enthousiasmés par l’idée.«Nous referons chrétiens nos frères; par Jésus-Christ, nous le jurons», proclame le chant jaciste. Jusqu’en 1940, ce sera l’axe principal du mouvement. Cette rechristianisation paraît liée au maintien sur place: «Perdu pour la terre, perdu pour Dieu», dit-on, car le milieu rural est considéré comme le lieu privilégié de la vie chrétienne: les valeurs familiales y sont préservées; l’autorité respectée... Loin d’être déprécié, l’état de paysan mérite d’être magnifié. Les jeunes doivent être fiers de leur métier, «le plus noble et le plus libre qui soit». Cependant, la vocation éducative de la J.A.C. se précise. «Un jaciste qui ne s’instruit pas de son métier n’est pas un vrai jaciste», mais on ne va pas au-delà; en particulier, il faut rester en dehors et au-dessus des partis politiques dont les luttes divisent.Au lendemain de la guerre et jusqu’en 1950, la J.A.C. apparaît davantage comme un mouvement humaniste. «Elle veut aider les jeunes à développer leur personnalité» et «à obtenir des conditions de vie vraiment humaines». Les fondements spirituels du mouvement sont à chercher au côté de l’humanisme intégral de Jacques Maritain («développer tout l’homme et tous les hommes») et du personnalisme d’Emmanuel Mounier (transformer les structures économiques et sociales afin de restaurer l’homme dans toute sa dignité, mais transformer les milieux de l’intérieur; s’opposer au capitalisme, «principal agent d’oppression de la personne au cours des siècles d’histoire»). Entre 1950 et 1960, «la charité se fait technicienne» avec René Colson et l’on réfléchit sur l’économie du secteur agricole. Le progrès est accepté ainsi que son corollaire: l’exode agricole.Des centaines de milliers de jeunes sont touchés. Pour eux, la J.A.C. est un substitut à une scolarisation trop courte, elle ouvre sur le monde. Sa pédagogie est bien adaptée: elle part de l’expérience concrète de chacun. On enquête, puis on se réfère à un projet global de société. Enfin sont définis les objectifs de la démarche à entreprendre. C’est le célèbre «voir, juger, agir». Le futur métier est valorisé mais, en même temps, le jeune agriculteur doit être un jeune comme les autres. Par ailleurs, les militants sont de qualité, fiers de leur métier, attachés à leur profession. Ils se cultivent, lisent, voyagent. Ils recherchent l’engagement sans exclure les affrontements possibles. Ils se veulent responsables d’eux-mêmes et des autres.Certes, la J.A.C. correspond bien aux nécessités de l’époque: très opportunément, elle invite au changement une profession dont tout le monde souhaite qu’elle évolue rapidement. Mais n’est-elle que le reflet idéologique du mouvement économique et social? En fait, c’est bien la spécificité chrétienne qui apporte sa cohérence et son efficacité à la pratique des jacistes dans la suite de leur vie.D’une J.A.C. «évangélisatrice» on en était venu à des jacistes qui estimaient avoir d’abord à s’engager dans la politique professionnelle, ce qui, aux yeux de l’épiscopat, était sortir des limites du «mandat» et pouvait diviser les chrétiens. Si les jacistes voulaient aller plus loin, il est bien évident qu’il leur fallait chercher une autre structure. À l’origine simples sections de la C.G.A. sur les plans départemental et national, les cercles départementaux et le Cercle national des jeunes agriculteurs s’étaient d’abord érigés en association en 1954, puis en 1957 en syndicats liés respectivement à la F.N.S.E.A. et à ses fédérations départementales, mais disposant d’une large autonomie. Les anciens jacistes qui s’engageront nombreux dans la nouvelle organisation à partir de 1956 y trouveront «un terrain leur permettant d’effectuer un engagement personnel» dans le domaine de l’action professionnelle. En 1960, les deux tiers des membres du conseil d’administration étaient d’anciens dirigeants de la J.A.C. En 1961, le «Cercle» devenait le «Centre» national des jeunes agriculteurs.2. Depuis 1960, le système des quatre grandsLe système quadripartite de représentation de la profession agricole sur le plan national ainsi constitué est encore en place au début des années 1990: deux fédérations syndicales, la F.N.S.E.A. et le C.N.J.A., une confédération d’esprit coopératif et mutualiste, la C.N.M.C.C.A., enfin un établissement public, l’A.P.C.A.La F.N.S.E.A.La F.N.S.E.A. (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) a une triple structure: territoriale, par produits et par catégorie d’exploitants.Territoriale d’abord. L’unité de base est le syndicat local, généralement communal. Peuvent en faire partie tous les chefs d’exploitation et les membres majeurs de leur famille. Chaque exploitation ne dispose cependant que d’une voix, et les cotisations sont calculées par exploitation. Il s’agit donc d’un syndicalisme d’exploitation plus que de personnes. Le véritable niveau d’activité est celui du département, où les syndicats locaux se trouvent regroupés dans une F.D.S.E.A. (Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles). Celle-ci a des services spécialisés (droit, fiscalité, comptabilité, conseil de gestion, formation). Il s’agit en effet de pouvoir rendre le maximum de services aux adhérents. Mais sa fonction principale est d’être à l’écoute des problèmes des adhérents, de mener une réflexion formatrice en commun et, éventuellement, de les mobiliser pour des actions collectives (défilés, manifestations, etc.). Son implication dans la para-administration (commissions, comités) est importante. Il existe une F.D.S.E.A. dans chaque département.La deuxième composante de la F.N.S.E.A., ce sont les associations spécialisées par produits, au nombre d’une quarantaine, de la betterave au ver à soie. Leur articulation avec les fédérations départementales est complexe. Dans certains cas, il existe, au sein des fédérations départementales, des sections homologues ou associations nationales. Leurs membres sont alors désignés par les membres des syndicats locaux concernés. C’est le cas pour le lait. Dans le cas de la vigne, des fruits et des légumes, chaque association nationale regroupe souvent des syndicats locaux spécialisés qui n’ont pas toujours eu beaucoup de liens avec la fédération départementale. La Confédération betteravière réunit des syndicats départementaux ou interdépartementaux. Les associations sont regroupées, sur le plan national, à l’intérieur du comité des associations spécialisées, qui est une instance statutaire de la F.N.S.E.A.Les sections sociales constituent la troisième composante de la F.N.S.E.A. Elles regroupent les exploitants sur la base d’un critère particulier: la S.N.F.M. (Section nationale des fermiers et métayers); la S.N.B.B.R. (Section nationale des bailleurs de baux ruraux) qui rassemble en principe des exploitants donnant des terres en location à d’autres exploitants – ce qui permet à la F.N.S.E.A. de faire des propositions en matière foncière ayant l’aval de propriétaires fonciers; la Section nationale des anciens exploitants. La commission féminine peut leur être assimilée. Il existe, au sein des fédérations départementales, des sections ou commissions homologues.Par certains côtés, les jeunes agriculteurs pourraient être considérés comme une section de la F.N.S.E.A. Mais, parce qu’ils ont leur autonomie juridique et leur démarche originale, il en sera traité spécialement plus loin.Émanation de ces trois composantes, le conseil d’administration de la F.N.S.E.A. est le lieu d’arbitrage et d’équilibre de l’ensemble. La composante territoriale y est majoritaire: 28 sièges reviennent aux fédérations départementales. Chacune a un nombre de voix proportionnel au nombre de ses adhérents, nombre qui peut se trouver réduit si la fédération n’a pas réglé intégralement ses cotisations à la Fédération nationale. Regroupées en onze «régions syndicales» (12 avec les D.O.M.), les fédérations départementales votent au scrutin de liste majoritaire à un tour. Dans la pratique, il n’y a jamais qu’une liste en présence, composée pour recueillir la quasi-unanimité des votants. Les fédérations départementales sont appelées à voter une seconde fois pour pourvoir les douze sièges réservés à des syndicalistes ayant souvent une stature ou des responsabilités nationales. L’usage veut qu’il n’y ait pas plus de candidats que de sièges à pourvoir.Les associations spécialisées désignent de leur côté dix représentants au conseil d’administration, dont cinq pour les productions animales. C’est ainsi qu’y siègent traditionnellement les présidents des producteurs de blé, de maïs, de betterave, de viande bovine, de lait. Les quatre sections sociales désignent chacune deux représentants, sauf les fermiers qui en ont quatre. Les jeunes ont aussi quatre sièges.À la différence des centrales ouvrières, le syndicalisme agricole ne confère pas le statut de «permanent» à ses élus. Ils restent exploitants agricoles et ils y tiennent... Ils sont seulement défrayés à concurrence du temps passé. Des salariés les assistent. C’est ainsi que la F.N.S.E.A. emploie une centaine de personnes.Le C.N.J.A.La structure du C.N.J.A. (Centre national des jeunes agriculteurs) est plus simple. L’échelon de base est le centre cantonal fédéré sur le plan départemental et coiffé par le Centre national. Peuvent adhérer aux centres cantonaux tous les agriculteurs de l’un ou l’autre sexe de moins de trente-cinq ans, qu’ils soient chefs d’exploitation, associés d’exploitation ou aides familiaux. Chacun dispose d’une voix; le C.N.J.A. est un syndicat de personnes. Il existe 94 centres départementaux. Ils emploient souvent des «animateurs» salariés. Pour sa part, le Centre national en dispose de 45; C.D.J.A. (Centre départemental des jeunes agriculteurs) et F.D.S.E.A. échangent des administrateurs, à l’exemple des organisations nationales.La C.N.M.C.C.A.La Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du crédit agricoles réunit trois grandes organisations.La Fédération nationale de la mutualité agricole se situe en parallèle avec l’Union des caisses centrales de la mutualité agricole dont elle émane. Par mutualité agricole, il faut entendre, d’une part, la mutualité sociale agricole (M.S.A.) – c’est-à-dire le système de sécurité sociale propre aux exploitants agricoles et aux salariés des exploitations et des organismes agricoles – et, d’autre part, les assurances mutuelles agricoles (A.M.A.) des biens et des personnes.La Confédération française de la coopération agricole réunit trois collèges d’adhérents: 22 fédérations nationales de coopératives constituées par branche d’activité, 24 fédérations régionales et, enfin, le groupe «Promotion coopérative» formé par 31 coopératives ou unions de coopératives de grandes dimensions, désireuses d’être mieux entendues sur le plan confédéral. La C.F.C.A., qui est une association, assure la représentation et la défense des intérêts de la coopération. Elle n’a pas d’activité commerciale ou économique, les coopératives adhérentes continuent à agir de façon parfaitement autonome.La Fédération nationale du crédit agricole réunit les 94 caisses régionales de crédit agricole mutuel. De statut coopératif, elles sont elles-mêmes les émanations de trois mille caisses locales de même statut. La Fédération assure la défense de leurs intérêts matériels et moraux. Créée en 1920 sous le nom d’Office, la Caisse nationale de crédit agricole (C.N.C.A.) est chargée du contrôle des caisses régionales, notamment pour ce qui est de la distribution des prêts bonifiés dont elles ont le monopole. La Caisse nationale est aussi la caisse centrale du Crédit agricole mutuel et elle joue un rôle de coordination et d’impulsion. En 1988, cet établissement public est devenu une société anonyme dont l’État a cédé les actions aux caisses régionales et au personnel du Crédit agricole.Il existe par ailleurs une Fédération centrale du crédit mutuel agricole et rural , organe central des caisses de crédit agricole mutuel qui, jadis, ne s’étaient pas soumises à la tutelle de la Caisse nationale et qui ne participent pas à la distribution des prêts bonifiés. Elle n’est pas adhérente à la C.N.M.C.C.A.Les chambres d’agriculture«Les chambres d’agriculture sont, auprès des pouvoirs publics, les organes consultatifs et professionnels des intérêts agricoles de leur circonscription» (art. 502 du Code rural). «L’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (A.P.C.A.) est, auprès des pouvoirs publics, l’organe consultatif et représentatif des intérêts généraux et spéciaux de l’agriculture» (art. 542 du Code rural). Il s’agit donc d’une institutionnalisation, par le biais d’établissements publics, de la représentation du monde agricole tant au niveau départemental qu’au niveau national.Le monde agricole est ici entendu au sens large, puisqu’on y trouve représentés les exploitants (et leurs familles), les anciens exploitants, les salariés d’exploitation, les propriétaires fonciers, les salariés d’organismes agricoles et même les propriétaires forestiers. Les exploitants sont représentés deux fois, par leurs élus directs et par ceux que désignent leurs organisations syndicales et coopératives. L’assemblée permanente est formée des présidents de chambre. Lors de la désignation des instances dirigeantes, il n’y a pas de pondération entre les départements, et chaque président a une voix. Les chambres départementales et leur assemblée parisienne ont créé de nombreux services à l’usage des agriculteurs.Le système des «quatre grands»Sur les ruines de la C.G.A. unitaire s’est construit un système quadripartite qui s’est efforcé de retrouver l’unité perdue.De l’unité syndicale à l’unité professionnelleLa F.N.S.E.A. veut être le seul syndicat agricole – l’existence du C.N.J.A. qui échange des administrateurs avec elle n’allant pas à l’encontre de cette unité. Elle pense qu’un même syndicat peut rassembler tous les agriculteurs en dépit de leur diversité, car ce qu’ils ont en commun est plus fort que ce qui peut les diviser. Si telle ou telle catégorie d’agriculteurs est en conflit avec telle autre – éventualité qui n’est pas niée –, l’arbitrage doit être rendu à l’intérieur du syndicat. Non seulement le même syndicat peut rassembler tous les agriculteurs, mais il le doit car, dispersés, les agriculteurs n’arriveront pas à se faire entendre des pouvoirs publics et de l’opinion: l’union fait la force... Lorsqu’il y a pluralisme syndical, beaucoup d’énergie se dépense en vains combats fratricides, comme le montre le syndicalisme ouvrier. Enfin, la F.N.S.E.A. regroupant les agriculteurs sur une base professionnelle, les autres syndicats ne peuvent qu’émaner de partis politiques qui les manœuvrent à leurs fins propres ou être manipulés par des intellectuels sans mandat. La F.N.S.E.A. se considère donc comme le seul syndicat légitime, ce qui, combiné avec le nombre de ses adhérents, l’amène à exiger des pouvoirs publics d’être considérée, avec le C.N.J.A., comme le seul syndicat représentatif.Dans la pratique, l’unité de la F.N.S.E.A. doit beaucoup à la souplesse de ses structures: chaque fédération départementale, chaque association spécialisée agit un peu à sa guise; il en va de même pour le C.N.J.A. Et même la combative section nationale des fermiers et métayers a son journal propre. Mais cette liberté a des limites du côté gauche de l’échiquier politique, comme les fermiers et métayers et, d’autre part, les fédérations départementales ou les C.D.J.A. influencés par le courant paysan-travailleur l’ont constaté. Mais les solutions souples sont généralement préférées aux exclusions et aux ruptures.L’unité syndicale est le premier degré de l’unité professionnelle. Celle-ci s’est petit à petit reconstruite. Les deux fédérations de coopératives, qui avaient revécu à la disparition de la C.G.A., se sont réunifiées en 1965. L’année suivante s’est constitué le C.A.F. (Conseil de l’agriculture française), une association qui regroupe la F.N.S.E.A. – qui s’en est attribué la présidence –, le C.N.J.A., la C.N.M.C.C.A. et ses trois composantes. L’A.P.C.A. est associée aux délibérations. Soit au C.A.F., soit surtout de façon informelle, les «quatre grands» coordonnent leurs points de vue avant d’aller affronter les pouvoirs publics.À la différence de la corporation paysanne qui accordait une place organique à leurs organisations syndicales, le système des quatre grands n’inclut pas les salariés d’exploitations et d’organismes agricoles, malgré leur rôle important. Les salariés agricoles constituent en fait une catégorie dérangeante, qui trouble l’image de l’exploitation agricole réunissant des individus libres, seulement liés par des liens de famille et où personne n’exploite personne. Seule la F.G.S.O.A. (Fédération générale des salariés des organisations agricoles et de l’agro-alimentaire) est spécifique à l’agriculture; les autres organisations syndicales agricoles sont liées aux grandes centrales syndicales et ont plutôt une vision globale des problèmes sociaux!À vrai dire, le poids respectif des quatre grands n’est pas égal. De par sa structure, l’A.P.C.A. aurait pu être l’organe coordonnateur. En fait, elle convint avec la F.N.S.E.A., au moment de sa renaissance en 1948, qu’elle lui laissait la défense professionnelle. Les chambres d’agriculture ne sauraient, à vrai dire, mobiliser les agriculteurs, organiser des manifestations, exercer une pression sur les pouvoirs publics; seul le syndicalisme dispose d’une organisation, de militants, de troupes. Quant à la C.N.M.C.C.A., sa raison d’être est encore différente: la plupart des agriculteurs sont sociétaires d’une coopérative ou d’une mutuelle ou ils devraient l’être, le mutualisme étant dans la société industrielle le prolongement indispensable de l’exploitation agricole familiale et traduisant l’aspiration à un nouveau type de relations sociales et économiques. Aussi la C.N.M.C.C.A. s’estime-t-elle fondée à s’exprimer, elle aussi, au nom des agriculteurs. Pendant longtemps, elle fit le lien avec les milieux professionnels de sensibilité laïque. Aujourd’hui, elle permet aux gestionnaires des outils économiques et sociaux, dont la profession agricole s’est dotée, de faire entendre la voix de la modération.Le ciment le plus solide entre les quatre grands, ce sont les liens personnels entre dirigeants. Le temps n’est plus où les jeunes agriculteurs formés à la J.A.C. s’opposaient à leurs aînés. Ils ont pris de l’âge mais ils ont conservé leur ambition d’être responsables de leur milieu: ils ont en commun tout un passé de foi et d’ardeur et ils s’épaulent; ils sont aussi d’habiles tacticiens de la conquête du pouvoir. Aussi n’est-il pas étonnant qu’ils aient peu à peu remplacé les anciens qui avaient connu la corporation paysanne ou fait leurs premières armes à la Libération. Après une phase d’alliances réalistes, ils ont conquis la F.N.S.E.A. puis ils se sont attaqués, avec peut-être moins de bonheur, aux chambres d’agriculture et aux organismes économiques. De ces derniers, ils sont passés à l’intérieur de la C.N.M.C.C.A., laquelle en est venue au cours des années 1970 à ne plus incarner la tradition de gauche. Seules leur ont assez bien résisté les associations par produits dont les centres de gravité sont le Nord-Bassin parisien (blé, betterave) et le Midi méditerranéen (vins, fruits, légumes), avec leurs élites propres.Les revendicationsAu lendemain de la Libération, le pays entend se moderniser, et l’agriculture n’est pas en reste. Les agriculteurs cherchent à s’initier aux nouvelles techniques, à se former, à s’instruire. Ce mouvement d’ensemble, les organisations professionnelles le prônent et le soutiennent. Leur discours est résolument productiviste mais leur conception du développement de l’agriculture reste celle d’un développement séparé. En tout cas, ils en imaginent mal les conditions et les répercussions. L’effet le moins long à se manifester est le retour à l’abondance. Les prix s’orientent à la baisse, il devient urgent de les soutenir. La F.N.S.E.A. se mobilise dans les années cinquante pour que le gouvernement indexe les prix agricoles pour garantir le pouvoir d’achat des agriculteurs.Cette priorité donnée aux prix, c’est ce que, à peine promu au rang de syndicat, le C.N.J.A. contestera. Il admet la nécessité de prix garantis, mais il estime qu’aucun relèvement de prix ne permettra au petit agriculteur d’accéder à des conditions de vie convenables. Le problème est «structurel».Il y a trop d’agriculteurs, les agriculteurs productifs n’ont pas besoin d’être si nombreux et il y a de l’emploi ailleurs. Certes, la diminution de la population active agricole dure depuis près d’un siècle, mais les organisations professionnelles n’avaient cessé de le déplorer, tout départ étant présenté comme une diminution de substance. La position du C.N.J.A. est radicalement différente: l’agriculture est une partie de l’économie globale, l’exode rural, qui est un des principaux éléments de la modernisation de l’agriculture, est également bénéfique pour la nation. Cela ne signifie pas que l’on doive pour autant laisser se constituer de vastes exploitations employant des salariés. Au contraire, il faut limiter la concentration foncière en contrôlant les réunions et cumuls d’exploitations et de parcelles. Le maximum d’agriculteurs doivent avoir le statut de chef d’exploitation, c’est-à-dire être des individus pleinement responsables, qui par là même peuvent s’épanouir. Sur ce point, le C.N.J.A. est doublement gagnant: il revendique ce que ses adhérents espèrent et il se trouve à l’unisson avec la F.N.S.E.A. qui défend traditionnellement l’exploitation familiale.Cette conjonction cache une dissonance. La F.N.S.E.A. ne se pose pas tellement la question de savoir quelles exploitations peuvent être viables: l’avenir en décidera. Le C.N.J.A., en revanche, le fait, et, pour lui, il faut savoir être dirigiste: le jeune qui ne dispose pas d’une surface minimale ne doit pas s’installer. Quant aux surfaces disponibles, elles doivent servir à agrandir les exploitations qui en ont besoin. Voilà la terre ravalée au rang de simple outil de travail...Mais d’autres «outils» sont aussi nécessaires; ils s’appellent: bâtiments, matériel, cheptel et fonds de roulement. D’où la revendication de subventions pour l’équipement et surtout de prêts abondants et largement bonifiés.La chance du C.N.J.A. sera de proposer des mesures propres à satisfaire l’ensemble de la profession ou presque. Aux exploitants sexagénaires, une retraite anticipée, gage inespéré d’une heureuse vieillesse, à la seule condition que leurs terres servent à la constitution d’exploitations de dimensions suffisantes. Aux jeunes, des terres pour s’installer et s’agrandir, des subventions et des prêts, en un mot, les moyens de la réussite. Pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas être agriculteurs, des possibilités nouvelles de scolarisation grâce au ramassage scolaire et aux bourses. Aux exploitants en place, la perspective qu’il y aura une agriculture plus solide pour continuer leur œuvre. À tous, la vision d’un secteur agricole dont le développement participera au développement général et sera reconnu par le pays. La «grande culture» pressent vite qu’il y a là un ferment qui travaille à rapprocher le reste de l’agriculture de ce qu’elle-même sera demain, une fois ses escouades de salariés remplacées par des machines.Le C.N.J.A., on le voit, est dirigiste, organisateur; il ne répugne pas à réclamer certaines limites à l’exercice de la liberté individuelle, y compris en matière de droit de propriété, si le bien commun l’exige. Le même raisonnement le conduit à réclamer également une politique des «structures» de commercialisation. Certes, il existe déjà de nombreuses coopératives, mais elles ne peuvent contraindre. Il faut que des groupements de producteurs puissent imposer même aux non-adhérents les mesures nécessaires pour éviter la surabondance et la chute des cours.Comment inclure psychologiquement le monde agricole dans le mouvement de modernisation souhaité pour le pays? À cette question que se posait le premier gouvernement de la Ve République, le C.N.J.A. apportait une réponse et sa capacité d’agir au sein de la profession. L’aboutissement fut les lois d’orientation agricole de 1960 et de 1962 pour lesquelles militeront ensemble le C.N.J.A. et la F.N.S.E.A. que des anciens du C.N.J.A. ont rejoint.Est-il équitable d’augmenter, dans une proportion égale, les prix du blé et de la betterave dont profite la grande culture, réputée riche, et ceux du lait et de la viande bovine que reçoit la petite exploitation? Non sans mal, la F.N.S.E.A. se mettra d’accord en 1969 pour revendiquer une «meilleure» hiérarchie des prix. Deuxième problème d’aménagement du territoire: comment faire pour qu’il reste un minimum d’agriculteurs dans les régions montagneuses ou défavorisées? D’où la revendication d’une subvention spéciale pour les jeunes qui s’y installent et d’une indemnité annuelle pour les agriculteurs qui y vivent. Ainsi leur handicap sera en parti compensé. Troisième problème: le Marché commun. Les organisations agricoles en ont été partisans dès l’origine. C’était la perspective de débouchés rémunérateurs. Les prix sont désormais fixés à Bruxelles en unités de compte communautaires, puis convertis en monnaie nationale; or l’inflation s’est développée à partir de 1973, mais Bruxelles ne revalorise pas les prix proportionnellement. Et le gouvernement s’abstient d’ajuster le taux de conversion en monnaie nationale quand il dévalue (les ajustements ont nécessairement un effet inflationniste). Du coup, les prix redeviennent l’élément clef non seulement pour la «grande culture», mais peut-être plus encore pour les petits et moyens agriculteurs qui ont intensifié leur production en augmentant leurs achats à l’industrie.Les organisations professionnelles, tenant le gouvernement pour responsable des «mauvaises» décisions de Bruxelles et du non-ajustement des taux de conversion, en viendront de plus en plus à réclamer des pouvoirs publics des aides pour compenser l’insuffisance du revenu agricole.La profession et l’ÉtatEn créant la corporation paysanne puis la C.G.A., l’État a érigé par deux fois la profession agricole face à lui. Il ne pouvait qu’en résulter des rapports d’un style nouveau entre l’agriculture et les pouvoirs publics.Du côté agricole, qu’il s’agisse des corporatistes ou des jacistes, l’idée est à peu près la même: la profession doit être autonome, responsable et dotée de pouvoirs. D’où le sentiment d’une nécessaire imbrication de l’État et de la profession.C’est d’ailleurs de longue date que le secteur coopératif et mutualiste s’est chargé de tâches d’intérêt général: la distribution du crédit, la protection sociale, la collecte des céréales. L’Office du blé de 1936 était déjà interprofessionnel: il est même présidé par un agriculteur. Les fonds de soutien des marchés agricoles créés sous la IVe République comportent à leur sommet une large représentation professionnelle.Mais, avec les liens noués vers 1959-1960 entre le C.N.J.A. et le gouvernement Debré, la politique elle-même se trouve co-élaborée. Le schéma aura été souvent le suivant: les syndicats agricoles analysent la situation, dégagent leurs priorités, élaborent des propositions, en vérifient la compatibilité avec l’intérêt collectif ou la politique générale, puis en font part aux pouvoirs publics. Les dirigeants professionnels souhaitent se faire entendre à des niveaux élevés. D’où l’intérêt qu’ils portent à des institutions comme le Conseil économique et social ou les commissions du plan; d’où le prix qu’ils attachent à la conférence qui, depuis 1970, leur permet chaque année de débattre des mesures à prendre avec le Premier ministre assisté, entre autres, de celui des Finances. On comprend que l’idée du général de Gaulle d’un Sénat où les socio-professionnels auraient siégé avec voix délibérative aux côtés des politiques ait séduit des dirigeants syndicaux.La profession ne méconnaît pas pour autant le pouvoir de l’État. Un pouvoir fait de plusieurs éléments: la connaissance d’abord – pouvoir qui s’est renforcé avec le Marché commun et l’internationalisation des échanges agricoles; la réflexion, la profession étant loin d’avoir le monopole des idées; enfin, la reconnaissance, implicite de la part du monde agricole, qu’il appartient à l’État d’indiquer la voie. Plus d’un ministre de l’Agriculture se sera efforcé d’exceller dans cette fonction charismatique et rassurante.Si, juridiquement, le pouvoir de décision appartient à l’État, le syndicalisme n’est pas démuni de moyens pour peser sur la décision. Mais les manifestations qu’il peut organiser ne visent pas à affaiblir le pouvoir en place. La victoire, c’est l’ouverture des esprits et la perception des urgences.Dans les rapports entre la profession et l’État, la manifestation constitue l’épreuve de vérité. La profession se doit de l’organiser pour apporter la preuve de la gravité de la situation. Si la manifestation ne réunit pas grand monde, le gouvernement en conclut que rien ne presse; l’éventuel assaut de bâtiments publics n’est dans ces conditions qu’un signe supplémentaire à déchiffrer.Vient ensuite la mise en œuvre. La profession agricole, qui se veut «responsable», pense qu’elle doit en être chargée. Point trop d’État ne faut et le travail sera mieux fait. Rien ne conforte plus une organisation professionnelle que d’être le point de passage obligé entre les agriculteurs et l’État. L’éventail des solutions est très ouvert. Elles vont de l’établissement public présidé par un représentant de l’État à l’association de droit privé percevant des taxes parafiscales, où siège seulement un commissaire du gouvernement.Le système n’est pas sans avantage pour l’État. L’expérience le prouve, les pouvoirs publics ne peuvent pas réaliser de réformes importantes sans concertation préalable et sans qu’une partie des personnes concernées soit acquise aux idées nouvelles. Faire des agriculteurs les agents de leur propre évolution, c’est décupler l’action de l’État. Plus prosaïquement, quand il faut répartir les moyens de la survie, terres et capitaux, entre individus ayant des mérites égaux, il est tentant de déléguer les choix à la profession. Il est enfin commode pour le gouvernement de pouvoir se ménager des temps de répit en passant de quasi-contrats avec des organisations qui tiennent leurs troupes en main.Le système n’en a pas moins été critiqué au nom de l’autorité de l’État: les décisions ne doivent pas être subordonnées à l’acceptation de ceux auxquels elles doivent s’appliquer et le risque est grand de faire de l’État une mosaïque de volontés particulières et non un lieu d’unité.Que doit le système aux circonstances? L’instauration de la Ve République, en affaiblissant le Parlement, a probablement facilité la collaboration de l’exécutif et des organisations agricoles; les agriculteurs se sont sentis assez vite en confiance avec les nouvelles forces politiques au pouvoir; le gouvernement a eu les mains d’autant plus libres que les formations politiques qui l’appuyaient ne proposaient pas de politique agricole et lui déléguaient le soin de le faire.Le succès de la formule paraît surtout lié à un accord de fond entre les organisations agricoles et le gouvernement sur la politique à suivre. Ensuite l’expansion économique fut bien utile, car il est difficile de s’entendre quand l’État n’a rien à donner et qu’il ne sait quoi faire espérer, ce qui explique la dégradation du système bien avant 1981. Il s’est bloqué avec le changement de majorité, car il faut que les agriculteurs croient que les partis au pouvoir s’intéressent à eux, écoutent leurs organisations représentatives et leur veulent du bien.Les organisations professionnelles et les partis politiquesLa neutralité est de règle dans les rapports entre les organisations professionnelles et les partis. Cependant, ni la C.N.M.C.C.A. et les organisations dont elle émane, ni les chambres d’agriculture ne font grief à leurs dirigeants d’assurer des fonctions politiques, Henri Queuille présidera la C.N.M.C.C.A. jusqu’en 1960 et le sénateur Blondelle sera à la tête de l’A.P.C.A. jusqu’à sa mort en 1971. Si la F.N.S.E.A. et le C.N.J.A. estiment incompatibles les mandats syndical et politique, il n’est pas interdit à leurs dirigeants de siéger au bureau d’un parti politique. Encore faut-il que les engagements politiques ne nuisent pas aux relations avec les pouvoirs publics: les dirigeants syndicaux qui, autour de 1960, s’étaient prononcés pour l’Algérie française ont été vite écartés. Par la suite, et ce jusqu’en 1981, la F.N.S.E.A. a eu tendance à mettre à sa tête des dirigeants qui avaient de plus en plus l’oreille du pouvoir.L’apolitisme de principe de la F.N.S.E.A. et du C.N.J.A. les amène à entretenir des rapports réguliers avec l’ensemble des formations politiques. Mais la répartition des votes agricoles entre la droite et la gauche explique de quel côté penche le syndicalisme agricole. Les dirigeants agricoles qui ambitionnent de prolonger leur action professionnelle en devenant parlementaires le font généralement sous l’égide d’un parti du centre ou de droite. La génération issue de la J.A.C. s’est retrouvée quasi naturellement jadis au M.R.P. et aujourd’hui au C.D.S., mais les formations gaullistes ont eu également une grande force d’attraction. En revanche, le Parti républicain a pu paraître trop libéral. Le Parti socialiste n’a pas vu venir à lui beaucoup de monde avant que le rejoignent des dirigeants agricoles «paysans-travailleurs». Un quart de siècle de travail en commun entre les organisations agricoles et les formations politiques au gouvernement crée des liens dont le gouvernement socialiste a pu mesurer la force en 1981.Quelles alliances?La question des alliances de la paysannerie n’est pas nouvelle puisque, dans le début des années 1960, des dirigeants du C.N.J.A. ex-jacistes rencontraient à titre personnel des dirigeants C.F.T.C. ex-jocistes que l’on retrouvera à la C.F.D.T., mais l’affaire s’interrompit lorsque la C.F.D.T. afficha des options jugées marxistes. Quelques années plus tard, le courant paysan-travailleur reprendra l’idée d’une nécessaire alliance paysan-ouvrier, mais ce sera une des causes de sa faible audience. Quant à la F.N.S.E.A., c’est de F.O. qu’elle s’est rapprochée en 1974 pour fonder une organisation commune de consommateurs.Cherchant ailleurs, quelques dirigeants de la F.N.S.E.A. et du C.N.J.A., agissant à titre personnel, rencontrèrent à partir de 1976 des représentants des professions indépendantes (artisans, commerçants, P.M.E., médecins). Mais les G.I.R. (groupes initiative-responsabilité) n’eurent qu’une vie éphémère. Les rares rencontres entre la F.N.S.E.A. et le C.N.P.F. ne vont guère au-delà de l’échange de vues. Toutefois, en 1986, la F.N.S.E.A. a fondé conjointement avec le C.N.P.F. et la Confédération des petites et moyennes entreprises un Comité de liaison des décideurs économiques.3. Contestations internes et dissidences: autres syndicatsAspiration commune à beaucoup d’agriculteurs, l’unité syndicale a cependant été contestée à plusieurs reprises depuis 1945, mais les formations syndicales qui ont pu voir le jour n’ont pu faire remettre en cause le système de relations existant entre les pouvoirs publics et les quatre grands.Le comité de GuéretLa plus ancienne contestation est interne à la F.N.S.E.A. En 1953, de grandes difficultés sur le marché de la viande amènent la naissance du comité d’action du Centre, dit comité de Guéret. Dans cette instance informelle, sans structure juridique, se retrouvent des dirigeants syndicaux venant de dix-sept départements du nord, de l’ouest et du sud-ouest du Massif central dont les fédérations sont généralement de gauche. Leur participation ultérieure sera fluctuante et ira plutôt en se rétrécissant, ce qui n’empêcha pas le comité de continuer à publier des communiqués et à appeler à manifester. Par bien des côtés, le comité de Guéret préfigure le Modef.Le ModefLe Parti communiste n’avait pas réagi à l’élimination des siens à laquelle la F.N.S.E.A. avait procédé dans les années d’après guerre. Son influence restait forte dans certaines fédérations du Sud-Ouest. En outre, un mouvement rival de la F.N.S.E.A. lui paraissait voué à l’échec: c’est en restant à l’intérieur que l’influence serait la plus grande. Sont-ce les craintes que lui inspira le retour au pouvoir du général de Gaulle en 1958? Toujours est-il que le Parti communiste suscite la création, l’année suivante, non d’un syndicat mais d’une association, qui se dénommera, en 1971, le Mouvement de défense des exploitants familiaux, par abréviation Modef. S’y retrouvent rassemblés, de façon très souple, des fédérations départementales exclues de la F.N.S.E.A. et des adhérents individuels très souvent syndiqués à la F.N.S.E.A. Le Modef présente des candidats aux élections aux chambres d’agriculture mais s’abstient régulièrement de le faire dans huit départements du Centre et du Sud-Ouest dont des fédérations, bien qu’adhérentes à la F.N.S.E.A., lui paraissent se situer dans sa ligne.Comme son nom l’indique, le Modef se veut le défenseur des petits exploitants, et d’eux seuls. Ceux qui ne peuvent ou ne veulent se moderniser ont longtemps constitué l’essentiel de ses sympathisants. Son programme a été marqué durablement par une vive hostilité à la politique de structure et au Marché commun, ce qui le plaça en retrait par rapport au Parti communiste lorsque celui-ci, sous l’influence de Waldeck Rochet, évolua en matière agricole. Mais, avec le temps, le Modef a lui-même changé. En 1975, il a pris la forme de syndicat. Mais surtout s’était créée en 1972 une fédération nationale des jeunes, la F.N.J.-Modef, aujourd’hui Fédération nationale des jeunes exploitants familiaux, qui paraît acquise à la politique des structures telle qu’elle fut tracée jadis par le C.N.J.A. De proche en proche, c’est tout le Modef qui a évolué. Cependant, il reste un mouvement essentiellement revendicatif, opposé à la collaboration avec les gouvernements quels qu’ils soient, comme le montra la période 1981-1986. Né dans le Centre, le Midi et le Sud-Ouest, le Modef a étendu peu à peu sa base géographique, notamment en direction de la Bretagne.La F.F.A.La Fédération française de l’agriculture se situe politiquement à l’opposé du Modef, bien qu’elle le rejoigne dans son attitude critique vis-à-vis des pouvoirs publics. La F.F.A. est née d’un courant interne à la F.N.S.E.A., hostile à la politique de structure du C.N.J.A. et, d’une façon générale, à toutes les limitations de liberté qu’elle acceptait, à son adhésion au Marché commun et à la surbordination de l’agriculture à l’industrie qu’il entraîne, aux liens étroits du syndicalisme avec l’État et aux sympathies de certains leaders syndicaux pour le gaullisme. Ce syndicalisme trop complaisant pour l’État ne venait-il pas d’accepter les montants compensatoires mis en place au lendemain de la dévaluation d’août 1969? Ce fut l’occasion de la dissidence de la F.D.S.E.A. d’Indre-et-Loire qui créa à l’automne la F.F.A. Depuis lors, la F.F.A. fait campagne pour les libertés et contre l’État collectiviste – ce qui l’amena en 1981 à «demander aux paysans de sanctionner le giscardisme combinard» – et contre ses prolongements professionnels. Elle est contre la politique des structures et pour l’indexation des prix; elle demeure très réservée vis-à-vis du Marché commun.Quelques syndicats départementaux adhérents à la F.F.A. se sont créés dans l’Ouest, surtout là où le courant paysan-travailleur fut influent. Son audience sur le plan national est faible; en 1983, il n’y a eu de candidats aux élections aux chambres d’agriculture se référant à la F.F.A. que dans trente-trois départements.Le courant paysan-travailleur et la C.N.S.T.P.L’apparition du courant paysan-travailleur vers le milieu des années 1960 aura été un choc majeur pour les organisations agricoles. Il a profondément divisé le syndicalisme, le débat politique étant fondamental; les affrontements ont été des plus âpres, c’étaient les amis de la veille qui se combattaient; son déclin n’a pas pour autant apporté un surcroît de vigueur à ses adversaires pourtant majoritaires.Si certains agriculteurs ont bien gagné le pari que le C.N.J.A. puis la F.N.S.E.A. les engageaient à prendre – des conditions de vie convenables en récompense de la modernité –, nombreux sont ceux qui l’ont perdu. Ce fut en particulier le cas des jeunes qui, ne disposant pas de suffisamment d’hectares, s’étaient lancés dans l’intensification laitière ou dans les élevages «hors-sol» (il s’agit de porcs ou de volailles élevés en bâtiments clos et nourris d’aliments achetés à l’extérieur; l’éleveur passe généralement un contrat dit d’intégration avec une firme commerciale qui lui livre l’animal, l’aliment, voire le bâtiment et qui se paie sur les livraisons). Chargés de dettes, n’arrivant pas à équilibrer leur compte d’exploitation, ils ont réfléchi. N’est-ce pas le système économique qui doit être tenu pour responsable de leurs difficultés? La chose paraît claire en tout cas aux éleveurs hors-sol qui sont en relation directe avec les firmes commerciales. Le tort des coopératives est de faire écran entre le système capitaliste et les agriculteurs et de les empêcher de se rendre compte qu’ils sont exploités. La modernisation est un procédé sournois d’élimination et de sélection des agriculteurs. C’est l’ensemble des responsables professionnels qui est complice du système capitaliste, ne célébrant l’agriculteur chef d’entreprise que pour mieux empêcher les paysans de se rendre compte qu’ils sont en définitive des travailleurs exploités par le «système» de la même façon que le sont les travailleurs salariés. Ces derniers sont donc leurs alliés objectifs et tous ensemble doivent combattre pour le renverser. Mais tous les agriculteurs ne sont pas des travailleurs exploités: il y a parmi eux des capitalistes exploiteurs. La lutte des classes traverse l’agriculture. Pour commencer, les exploités doivent s’attacher à résoudre des problèmes concrets et savoir créer localement des rapports de forces favorables, au besoin par la violence.Ces analyses rencontrent un vif succès dans de nombreux C.D.J.A. En 1970, la moitié de ceux-ci peuvent être classés paysans-travailleurs. Les régions les plus influencées sont la région Rhône-Alpes et l’Ouest, deux régions où le «hors-sol» s’était développé; en plus, l’Ouest est laitier. Une association spécialisée, la Fédération nationale porcine, sera très proche du courant paysan-travailleur. Le phénomène paysan-travailleur est aussi à relier à l’évolution concomitante de la J.A.C. Celle-ci s’est fondue dans le M.R.J.C. (Mouvement rural de la jeunesse chrétienne), qui se veut révolutionnaire et s’interroge sur le Tiers Monde.La modernisation étant un leurre et un échec, la F.R.S.E.A.O. (Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles de l’Ouest, adhérents à la F.N.S.E.A.) qui, tout un temps, sera le principal bastion paysan-travailleur, propose de passer directement à une politique de revenus par le biais de prix différenciés: des prix pleins pour un exploitant donné dans la limite d’un quantum financier qui lui assure un revenu décent ainsi qu’à sa famille; des prix réduits au-delà.Ces analyses, conclusions et propositions étaient inacceptables pour les organisations agricoles et pour une large majorité d’agriculteurs: l’unité du monde agricole était niée alors qu’elle est vécue comme une vieille aspiration enfin réalisée; la modernisation était rejetée alors qu’un grand nombre d’agriculteurs en tiraient de substantiels profits; les coopératives devaient être combattues alors que des agriculteurs plus nombreux encore les considèrent comme le fruit de leurs efforts et qu’elles leur procurent d’incomparables avantages. Pour que quelque chose change, il faut attendre une lointaine révolution – ce qui fait désespérer du présent – alors que les agriculteurs sont plutôt réformistes et ont besoin de vivre chaque jour. À l’image du syndicalisme ouvrier, le syndicalisme agricole doit seulement revendiquer alors que les agriculteurs ne jugent pas l’État mauvais et veulent œuvrer avec lui; le quantum financier va à l’encontre des intérêts non seulement des gros agriculteurs, mais aussi des agriculteurs en voie de modernisation; il supposerait une impossible réforme des organisations communautaires des marchés agricoles. Se voir comparer aux salariés ne flatte pas les agriculteurs dont l’une des aspirations majeures est d’éviter la condition salariale; certes, ils se sentent des travailleurs, mais aussi des chefs d’exploitation qui vendent non leur travail mais le produit d’une activité complexe.L’insuccès du courant paysan-travailleur tient également à sa tactique. Ses membres ont longuement hésité entre l’entrisme et la scission. Agir de l’intérieur, c’est être plus efficace, mais encore faut-il se vouloir pédagogue; et les paysans-travailleurs se voulaient provocants. Leur vocabulaire marxiste ne fut pas toujours compris. La scission, c’est la marginalité. Dans l’un et l’autre cas, encore faut-il s’organiser; or nombre d’entre eux sont hostiles par principe aux appareils «bureaucratiques», jugés aliénants et antidémocratiques, et ils prônent la spontanéité. Certains d’entre eux enfin étaient plus passionnés d’action locale qu’à la recherche d’une influence nationale; les élections aux chambres d’agriculture de 1983 mobiliseront très inégalement les paysans-travailleurs.En face, on est à peine plus conciliant, car on a vite compris l’importance des divergences. De plus, les pouvoirs publics, obsédés à l’époque par le «péril gauchiste», concevaient mal de cogérer la politique agricole avec des organisations contaminées. Petit à petit, la reprise en main s’effectuera.Cependant, le courant paysan-travailleur finira à la longue par s’organiser. Une association nationale voit le jour en 1974. De crise en crise, on en vient en 1977 à un mouvement syndical. Puis intervient une phase d’éclatement. L’unité se fera enfin en juin 1981 avec la création de la C.N.S.T.P. (Confédération nationale des syndicats de travailleurs-paysans).Le bilan du conflit a été lourd pour la profession agricole. Toute une génération s’est épuisée dans des luttes intestines; côté F.N.S.E.A.-C.N.J.A., la réflexion a été paralysée par la peur de rejoindre les paysans-travailleurs sur tel ou tel point et, pendant une décennie, il aura manqué à la F.N.S.E.A. et au C.N.J.A. le militantisme de ceux qui s’étaient engagés de l’autre côté. Le courant paysan-travailleur ne peut pas avoir davantage le sentiment d’avoir gagné. Certes, le programme agricole du Parti socialiste de 1981 leur doit beaucoup, mais il ne fut pas appliqué. Si certaines de ces idées demeurent à l’ordre du jour – les prix différenciés, «vivre au pays», etc. –, c’est dans un contexte de crise tout à fait différent. Les deux courants s’opposent, mais peut-être moins qu’on ne l’imagine, car la F.N.S.E.A. et le C.N.J.A. se veulent des organisations nationales dialoguant avec les pouvoirs publics, tandis que les paysans-travailleurs se conçoivent plutôt comme une juxtaposition d’initiatives locales.La F.N.S.P.Politiquement également située à gauche, la dernière-née – en avril 1982 – des organisations syndicales, la F.N.S.P. (Fédération nationale des syndicats paysans) est néanmoins très différente de la C.N.S.T.P.Il existait antérieurement, au sein de la F.N.S.E.A., une Interpaysanne regroupant des militants syndicaux ayant des opinions de gauche. Estimant impossible un débat «démocratique» au sein de la F.N.S.E.A., ceux-ci ont voulu construire une «alternative syndicale à l’extérieur de la F.N.S.E.A.». Ils ont été vivement encouragés par le gouvernement socialiste en quête d’une base sociale pour mettre en œuvre sa politique agricole. Les revendications de la F.N.S.P. ne sont pas très différentes de celles de la F.N.S.E.A. et, comme elle, elle est disposée à collaborer avec les pouvoirs publics.Deux organisations aussi différentes l’une de l’autre que le sont la C.N.S.T.P. et la F.N.S.P., l’une révolutionnaire et l’autre réformiste, peuvent-elles n’en faire qu’une parce que toutes deux de gauche? C’est ce qu’ont dû penser leurs dirigeants en les réunissant, en 1987, au sein d’une nouvelle Confédération paysanne.4. Les organismes de serviceReprésenter les agriculteurs auprès des pouvoirs publics, peser sur les décisions de l’État qui concernent l’agriculture: telles sont les fonctions assumées par les organisations professionnelles agricoles qui transparaissent le plus à l’extérieur. Mais, on l’a vu, ce ne sont pas les plus anciennes, le rôle des premières organisations ayant été plutôt celui de centrale d’achat ou de vente et d’organe-conseil. On a vu également, à propos de la C.N.M.C.C.A., qu’il existait en France de nombreuses coopératives de vente et de transformation des produits agricoles, ainsi que d’achat des produits nécessaires à l’activité agricole, deux réseaux de crédit agricole mutuel, un réseau d’assurances mutuelles et, enfin, une pyramide de caisses de sécurité sociale propres à l’agriculture. Leur importance économique est considérable. Il y a là tout un ensemble d’institutions qui entourent les exploitations agricoles, leur permettent de se suffire collectivement à elles-mêmes (ainsi en matière de crédit ou d’assurance), les protègent et facilitent leur survie. Elles témoignent de l’esprit d’entreprise que les agriculteurs peuvent avoir lorsqu’ils agissent ensemble, préférant par exemple créer une coopérative fabriquant des fromages ou des yoghourts plutôt qu’un syndicat de vente du lait à un industriel.Plus récents et peut-être plus originaux encore sont les organismes que les agriculteurs ont créés et qui visent à faire évoluer l’agriculture, en modifiant les comportements individuels. À l’origine, cette fonction était, pour une large part, assumée par l’État: de l’ancien professeur d’agriculture, on était passé aux directions départementales des services agricoles, dont la mission principale était la «vulgarisation agricole» et la «diffusion du progrès». Mais, à l’image de cette génération de la J.A.C. qui s’auto-instruisait et s’autoformait, les agriculteurs des années 1950 se sont estimés capables d’être responsables de leur propre transformation. Les initiatives s’étaient multipliées, donnant naissance à de nombreux C.E.T.A. (centres d’étude technique agricole), G.P.A. (groupements de productivité agricole, faisant suite aux villages et aux zones témoins nés d’une initiative de l’Association générale des producteurs de blé), G.V.P.A. (groupements de productivité et de progrès agricole, dus à l’initiative de la F.N.S.E.A.). Il s’agit à chaque fois de groupes d’agriculteurs se réunissant pour mettre en commun leur savoir et leurs expériences, réfléchir ensemble et mettre collectivement à contribution plus savant qu’eux.De leur côté, les C.I.V.A.M. (centres d’information et de vulgarisation pour l’agriculture et le milieu rural) regroupent des agriculteurs initialement en liaison avec des instituteurs assurant un enseignement post-scolaire agricole. Ayant leurs racines dans le courant laïque de la formation permanente, ils se situent un peu en marge des organisations agricoles.Parallèlement se créaient des centres de comptabilité et de gestion agricoles, capables de conseiller les agriculteurs dans la gestion de l’exploitation.Prenant acte de la situation, le décret du 4 octobre 1966 a désengagé l’État et transféré à la profession agricole la responsabilité de ce que l’on appellera désormais le «développement agricole». Une démarche parallèle à celle qui a été suivie vers la même époque pour la mise en œuvre de la politique des structures que l’État confiait à la profession. Les grands bénéficiaires du décret de 1966 seront les chambres d’agriculture, dont les services d’utilité agricole départementaux (S.U.A.D.) regrouperont et coordonneront toutes les actions de développement dans le département, conduites notamment par les groupements de base et par les coopératives agricoles. Les seconds bénéficiaires sont les associations spécialisées par produit, puisqu’il est prévu des instituts techniques par produit faisant de l’expérimentation. Dix-huit seront créés. Un système de financement assis sur des taxes parafiscales touchant les produits agricoles (principalement les céréales) a été mis en place.Des initiatives professionnelles sont également à l’origine d’établissements de formation initiale. La plus originale a abouti à la création des maisons familiales; elles pratiquent en effet la formation en alternance dans l’établissement et sur l’exploitation familiale. D’une façon générale, l’enseignement agricole, qu’il soit public ou privé, entretient des liens très étroits avec les organisations agricoles.Une profession si bien organisée ne pouvait pas ne pas prendre en main l’information des agriculteurs. Chaque département ou presque a son hebdomadaire agricole, que se partagent généralement la chambre d’agriculture, la F.D.S.E.A. et le C.D.J.A.Sur le plan national existent trois agences de presse spécialisées dans les nouvelles agricoles diffusant des bulletins destinés aux journaux agricoles mais auxquels de nombreux responsables agricoles sont abonnés: le groupe Agra Presse (Agra France, Agro-économique, Agra alimentation) au conseil d’administration duquel siègent les quatre grands, plus les producteurs de betteraves et de blé, Actuagri, qui appartient à la F.N.S.E.A. et au C.N.J.A. et, enfin, Agri-pick-up, qui appartient à des anciens de la J.A.C. et du C.N.J.A.Néanmoins, l’un des plus grands hebdomadaires nationaux (La Terre ) échappe à la profession puisqu’il appartient au Parti communiste. L’un des deux autres, après avoir longtemps appartenu à la branche aînée de la J.A.C., s’est aujourd’hui rapproché de l’Association des producteurs de blé.Quel avenir?Par certains côtés, la «réussite» des organisations professionnelles françaises est éclatante. Elle l’est sur le plan économique, avec des «entreprises» comme le Crédit agricole, certains groupes coopératifs ou les assurances mutuelles agricoles; elle l’est sur le plan de la qualité du service rendu avec la Mutualité sociale agricole. Enfin, en tant que «lobby», les organisations agricoles sont créditées d’une rare efficacité. Mais le coût croissant des nombreux organismes dont le monde agricole s’est doté est un premier sujet d’inquiétude, étant donné l’évolution du revenu agricole. Et leur efficacité est quelquefois contestée.Une deuxième question est de savoir quels seront les dirigeants agricoles de demain. Il était relativement facile que l’un ou l’autre s’absente d’une exploitation où la main-d’œuvre était encore nombreuse. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, l’agriculteur étant de plus en plus souvent seul sur son exploitation. En outre, les mentalités ont changé: ce n’est plus la J.A.C. qui façonne les esprits, et les futurs agriculteurs ne reçoivent pas une formation morale très différente de celle des autres Français. Le modèle est plutôt celui du chef d’entreprise qui s’en sort seul parce qu’il est bon technicien et bon gestionnaire.De toute façon, les organisations agricoles semblent appelées, en tant que groupe de pression, à voir leur influence décliner: les décisions les plus importantes concernant l’agriculture française sont prises à Bruxelles, au sein du Conseil des ministres des Communautés européennes. Que peuvent-elles pour les influencer? Certes, il existe à Bruxelles un Comité des organisations professionnelles agricoles (C.O.P.A.) des pays de la C.E.E., mais il lui a été impossible de transcender les oppositions d’intérêt entre agricultures nationales.Enfin, dernière interrogation mais non la moindre, ce qui a fait la force et l’unité des organisations professionnelles agricoles, c’est qu’elles avaient un projet, celui de la modernisation, où chacun trouvait son compte. Or elles n’ont pas encore trouvé les réponses à la situation nouvelle où se trouve l’agriculture.
Encyclopédie Universelle. 2012.